Par Hugues Le Tanneur – Libération

D’une enquête sur le réchauffement climatique, David Lescot crée une variation sentimentale très enlevée où fusionnent danse, musique et cirque.

Une rédactrice en chef des Inrockuptibles assise devant un kit de batterie qui commande à un écrivain un texte sur le réchauffement climatique, cela ne peut se passer que dans un spectacle de David Lescot. L’écrivain, interprété par Eric Caruso, ne connaît rien à la question. Justement, c’est pour ça qu’on a fait appel à lui, ainsi qu’à 52  autres : il s’agit de donner un point de vue décalé sur le problème. On est en décembre 2014, il a un an pour rédiger son texte qui sera publié pour la COP 21. L’écrivain se pique au jeu. Pas question de regard décalé, il veut au contraire rendre un article sérieux, documenté.

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Allégorie

Ce point de départ fantaisiste – mais pas totalement invraisemblable – est le prétexte d’une enquête approfondie sur le réchauffement climatique, dont on comprend assez vite qu’elle s’appuie sur les recherches menées par David Lescot lui-même. Eric Caruso est donc à la fois le double de l’auteur et un personnage de fiction dont on suit parallèlement les péripéties sentimentales, la question climatique trouvant un écho dans les intempéries du cœur.

Cette façon de tirer plusieurs fils à la fois en entremêlant l’intime et le général rappelle le théâtre de Robert Lepage ou de Simon McBurney, même si le traitement scénique diffère sensiblement ici. Habilement structuré, le spectacle se déploie sur plusieurs niveaux mettant en scène une série de rencontres ou de confrontations plus ou moins hasardeuses. Rêvassant dans son appartement, l’écrivain tombe sur un disque intitulé The Weather Project, du duo electro-jazz Ambitronix, dont les membres Benoît Delbecq et Steve Argüelles interprètent sur scène la musique du spectacle. Il y a surtout Théo Touvet, polytechnicien de 27 ans, spécialiste de la mécanique des fluides et des changements océaniques, qui a travaillé pour la Nasa avant de devenir acrobate et acteur. L’écrivain fasciné le compare à un personnage de la Renaissance. Théo Touvet joue ici son propre rôle, expliquant notamment comment il a corrigé une erreur de calcul dans l’évaluation de la vitesse du courant dans l’Antarctique. Consciencieux, l’écrivain interroge aussi un climato-sceptique. Après plusieurs courriels à Jean Jouzel, vice-président du Giec, le «pape des climatologues», il obtient de lui un rendez-vous. Mais oublie de s’y rendre. Il est perturbé par sa vie amoureuse. Il a fait la connaissance d’une actrice qui joue dans le Conte d’hiver de Shakespeare. Les répétitions de la pièce auxquelles il assiste régulièrement ajoutent une facette au spectacle. Il y a chez Shakespeare une allégorie du temps à laquelle fait écho la découverte, en 1965 en Terre-Adélie, de la possibilité de reconstituer l’atmosphère du passé grâce aux bulles d’air emprisonnées dans la glace.

Eventails

Ce que raconte ce spectacle polymorphe, joué, chanté, dansé – dans des chorégraphies signées DeLaVallet Bidiefono -, c’est que le climat est d’abord ce dans quoi l’on baigne, à l’image de ce dîner très arrosé où les convives évoquent l’influence de la météo sur la sexualité tout en agitant des éventails gigantesques. Entre-temps, Lescot aura évoqué l’Apocalypse, fait parler le pape François, Evo Morales, Ségolène Royal et finalement Jean Jouzel, peu optimiste sur les résultats de la COP 21. L’écrivain rend enfin son texte. Il sera publié sur le site web du magazine. Sauf que le vrai texte, bien sûr, c’est le spectacle lui-même, dont l’habileté à traiter avec un ton faussement léger d’un problème grave rend parfaitement compte de la difficulté à prendre conscience des dangers qui menacent la planète.

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